Baudelaire, évidemment… Pour les lecteurs francophones, il constitue souvent le premier vrai choc poétique, et je ne fais pas exception.
Baudelaire, on l’a lu, relu, étudié, on le connaît par cœur, on a écrit sur les cartes postales aux amis, depuis le bord de mer estival, que « Là, tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté ». On l’a laissé de côté pendant des années pour lire un peu autre chose. Et puis quand un jour on rouvre un volume de Baudelaire, le choc premier est là, intact.
(Van Gogh, c'est un peu pareil : on avait fini par détester les tournesols à force de les voir orner la pendule en porcelaine de la grand-tante ; mais un jour dans un musée, on se retrouve presque par hasard, et pour la première fois depuis des années, devant un tableau de Van Gogh – et le choc est intact, les Tournesols bouleversent, c’est à nouveau une première fois.)
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Oui, c'est dans cette atmosphère qu'il ferait bon vivre, - là-bas, où les heures plus lentes contiennent plus de pensées, où les horloges sonnent le bonheur avec une plus profonde et plus significative solennité.
Sur des panneaux luisants, ou sur des cuirs dorés et d'une richesse sombre, vivent discrètement des peintures béates, calmes et profondes, comme les âmes des artistes qui les créèrent. Les soleils couchants, qui colorent si richement la salle à manger ou le salon, sont tamisés par de belles étoffes ou par ces hautes fenêtres ouvragées que le plomb divise en nombreux compartiments. Les meubles sont vastes, curieux, bizarres, armés de serrures et de secrets comme des âmes raffinées. Les miroirs, les métaux, les étoffes, l'orfèvrerie et la faïence y jouent pour les yeux une symphonie muette et mystérieuse; et de toutes choses, de tous les coins, des fissures des tiroirs et des plis des étoffes s'échappe un parfum singulier, un revenez-y de Sumatra, qui est comme l'âme de l'appartement.
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Charles Baudelaire, Poèmes en prose
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Van Gogh, Vase avec trois tournesols |