La figure du grand écrivain romantique – ici Heinrich von Kleist – ne sort
pas grandie du film Amour fou de
Jessica Hausner… Et la poésie – celle de Goethe notamment, présente à travers le
lied « La violette » chanté par le personnage féminin principal – y apparaît
d’une totale futilité : un simple divertissement bourgeois sans conséquence.
Pourtant, les textes chantés constituent un écho troublant à la vie de la femme
qui les chante. Mais ils sont incapables d’exprimer réellement l’ennui abyssal
qui la mine de l’intérieur.
Henriette Vogel, femme vidée par la vie, ne sera pas sauvée par la poésie,
mais sacrifiée par un poète sans fantaisie. Leur « amour fou »,
finalement, ne sera qu’une mise en scène pas très au point.
Celle de Jessica Hausner, par contraste, est d’une implacable efficacité. Elle
nous dit qu’on ne saurait tricher avec la réalité. Et, tout en dénonçant les
mythes trompeurs de la poésie, elle pratique elle-même une forme aboutie de
poésie cinématographique : celle qui, tout en captant la beauté là où elle se trouve (son
film se caractéristise par une grande beauté visuelle), dénonce toute forme d’aveuglement
et de prétention.
Il revient aux femmes d'incarner « l’ironie éternelle de la communauté », dit Avital Ronell. Jessica Hausner s’acquitte magistralement de ce
rôle.