Inger Cristensen, Alphabet (extrait)


Inger Cristensen (1935-2009) est souvent considérée comme le plus grand poète danois contemporain. Dans le numéro 163 de Décharge, on la présente tout simplement comme l'un des plus grands poètes contemporains dans le monde. Après lecture de son recueil le plus connu, Alphabet, publié pour la première fois en 1981, je ne peux que partager cet avis.
Merci aux excellentes éditions Ypsilon d’avoir réédité en 2014 la traduction française de ce recueil, introuvable depuis longtemps.


(…) pense comme
pense un oiseau qui construit son nid,
pense comme un nuage, comme
les racines du bouleau nain

pense comme pense une feuille
sur un arbre, comme pensent la lumière et l’ombre
comme pense l’écorce luisante,
comme pensent les nymphes derrière
l’écorce, comme pense le lichen
sur un peu de bois pourri,
comme pense la clandestine écailleuse,
comme pense la clairière
brumeuse, comme pensent les marais
quand la montée de l’arc-en-ciel
se reflète, pense comme pensent
un peu de bourbe, quelques gouttes
de pluie, pense comme un miroir

si vital ; regarde le tourbillon
de la tempête de sable
sur son trône de néant ;
regarde ô combien banalement,
enfermée dans le moindre
petit grain de sable une subtile
vie fossilisée se repose
après le voyage ; regarde comment,
calmement, elle porte la
nuée de commencements de
la première mer ; regarde
un signe si simple
dans lequel, tel un être,

la vérité se reflète ;
mais regarde
combien c’est vrai, gracieux ; laisse
les choses, ajoute
les mots, mais laisse
les choses ; regarde
la facilité avec laquelle
elles trouvent d’elles-mêmes un abri
derrière une pierre ; regarde
la facilité avec laquelle
elles se glissent dans
ton oreille et chuchotent
à la mort de s’en aller

Extrait de Alphabet, édition bilingue de Janine & Karl Poulsen, 
Ypsilon éditeur, 2014.


Photo de Paul Caponigro

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