Je reste partagée au sujet des performances. En poésie aussi bien qu’en
art, d’ailleurs. Le principal problème, il me semble, est qu’il s’agit d’un
véritable métier – le métier de
comédien, en gros, ou bien de danseur – et que ce fait est rarement pris en
compte. Ainsi la spectatrice doit souvent subir des amateurs qui jamais
n’obtiendraient un rôle au théâtre mais que, en art ou en poésie, curieusement,
on laisse faire sans oser critiquer. La performance veut se situer hors
catégorie, et de ce fait, elle se situe également hors de portée des critiques habituelles
de spectacles. C’est bien commode. Mais le résultat est la médiocrité très fréquente
des performances. Alors que quand la personne connaît son métier et est
véritablement un ou une comédienne, on assiste souvent à des
« événements » qui marquent.
Je parle de cela parce que je suis allée voir
une exposition riche en
performances,
l’exposition « I love John Giorno » au Palais de Tokyo (qui se termine ce week-end). Le temple parisien de l’art
contemporain, en consacrant toute une rétrospective à John Giorno, poète et non artiste (mais le parcours est
conçu par Ugo Rondinone, un artiste), met en pleine lumière la zone frontière où se trouve une partie de la
poésie actuelle : mi-art contemporain mi-poésie contemporaine.
A ce titre, l’exposition est vraiment intéressante : elle regorge de « contemporain ».
Brouiller les genres, comme elle le fait, c'est indéniablement être
contemporain. En d’autres termes, c’est faire plaisir aux critiques.
Pourtant, au-delà du côté
« contemporain » trendy, ce qu’on retient surtout de cette
rétrospective, c’est la personnalité charismatique de John Giorno : c’est
sa personne. Et la conviction que le vrai brouillage des frontières, des
époques et des genres, il vient précisément de ce charme que peut dégager une
personne — sorte de léger miracle quotidien. Cela peut se produire
indépendamment de l’âge (Giorno a 75 ans), du sexe, de l’apparence physique, et
d’une quelconque « contemporanéité » ou non.
La performance sur le poème « Thanx 4 nothing » notamment, filmée
et projetée en ouverture dans la première salle, est vraiment captivante (mais
évidemment il est préférable de comprendre l’anglais…). On
trouve aussi une lecture de ce
poème
sur Youtube, moins aboutie cependant que la performance mise en scène et en lumière
dans l’exposition.
John Giorno n’est peut-être pas un très grand poète, mais c’est certainement
un vrai comédien ; un grand charmeur, un envoûteur. Portés par sa diction
de New-Yorkais allumé et par son air de petit rital sorti d’un film de Scorsese,
ses textes ont le don de transporter dans une Amérique qu’on a tous fantasmée
et que lui a vécue, celle de la génération beatnik et du pop art, celle des
drogues et du sexe « dans tous les sens ». L’Amérique des fifties et
des sixties qui contrôlait le monde et dont une partie des artistes et
poètes s’est vouée à une perte de contrôle totale – souvent jusqu’à la mort.
Le charme de John Giorno lui vient d’une époque et d’un pays précis, et de
ce qu’il dépasse ce pays et cette époque. Dans ce type de poésie, la
performance prend tout son sens. L’œuvre d’art, c’est John Giorno lui-même plus
que ses textes.
I want to give my thanks to everyone for
everything,
and as a token of my appreciation,
I want to offer back to you all my good and bad habits
as magnificent priceless jewels,
wish-fulfilling gems satisfying everything you need and want,
thank you, thank you, thank you,
thanks.
and as a token of my appreciation,
I want to offer back to you all my good and bad habits
as magnificent priceless jewels,
wish-fulfilling gems satisfying everything you need and want,
thank you, thank you, thank you,
thanks.
May every drug I ever took
come back and get you high,
may every glass of vodka and wine I’ve drunk
come back and make you feel really good,
numbing your nerve ends
allowing the natural clarity of your mind to flow free,
may all the suicides be songs of aspiration,
thanks that bad news is always true,
may all the chocolate I have ever eaten
come back rushing through your bloodstream
and make you feel happy,
thanks for allowing me to be a poet
a noble effort, doomed, but the only choice.
come back and get you high,
may every glass of vodka and wine I’ve drunk
come back and make you feel really good,
numbing your nerve ends
allowing the natural clarity of your mind to flow free,
may all the suicides be songs of aspiration,
thanks that bad news is always true,
may all the chocolate I have ever eaten
come back rushing through your bloodstream
and make you feel happy,
thanks for allowing me to be a poet
a noble effort, doomed, but the only choice.
John Giorno, extrait de « Thanx 4 nothing »
Je veux
remercier tout le monde pour tout,
et en gage
de ma gratitude,
je veux
vous offrir en retour toutes mes bonnes et mauvaises habitudes
comme des
joyaux magnifiques et inestimables,
des gemmes
porte-bonheur accomplissant tous vos besions et tous vos souhaits,
merci,
merci, merci,
merci.
Que toutes
les drogues que j’ai prises
puissent
revenir et vous défoncer,
que chaque
verre de vin et de vodka que j’ai bu
puisse
revenir pour que vous vous sentiez bien,
pour
apaiser vos terminaisons nerveuses
pour
permettre à la clarté naturelle de votre esprit de s’émanciper,
que tous
les suicides puissent être des chants d’aspiration,
merci pour
les mauvaises nouvelles qui sont toujours vraies,
que tout
le chocolat que j’ai mangé
puisse
revenir pour parcourir votre flux sanguin
et vous
rendre heureux,
merci pour
me laisser être un poète
un noble
effort, voué à l’échec, mais le seul choix.
Traduction
du Palais de Tokyo
John Giorno, poème visuel |
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