Laurent Albarracin : le recueil "Res Rerum"


Un livre singulier, qui ne ressemble à aucun autre. Laurent Albarracin n’en est pas l’auteur. C’est du moins ce qu’il prétend dans l’Avertissement au lecteur : il l’aurait trouvé chez un bouquiniste lyonnais spécialisé en ésotérisme. Avec cette précision et le titre latin, on se demande si on ne va pas se retrouver dans du Poe, à moins que ce ne soit dans du Borges. Sans parler de l’épigraphe : « Auro clausa patent ». (Pas besoin d’aller passer un après-midi à la bibliothèque plongée dans de vieux grimoires pour trouver la source de cette formule : Internet vous le dit en deux minutes. Tout est devenu trop facile depuis que le xxe siècle est terminé ! Le Net est triste, hélas, et je ne lis plus les livres. — Ne comptez pas sur moi toutefois pour vous donner la réponse).

Finalement, ce livre n’est ni du Poe ni du Borges, mais un travail poétique plein d’humour et d’intelligence sur les choses : prétendant vouloir saisir l’être des choses, « l’adéquation d’une chose à elle-même », Laurent Albarracin dit surtout la vanité d’une telle entreprise, et par contraste l’émouvante simplicité, la désarmante beauté des choses. « L’architecture invisible qui les soutient […] / est peut-être faite en grande partie / De notre renoncement à les comprendre / Mêlé à notre désir toujours déçu de les connaître ».

On ne peut que lire ce livre en écho à celui de François Jaqmin, Traité de la poussière, publié par le même Laurent Albarracin au Cadran ligné (et lu ici ou ici) : livre manqué sur l’être, vrai livre sur les possibilités créatrices (et re-créatrices) de la poésie. L’esprit de Res Rerum en semble très proche, même si le style en est bien sûr très différent. On retrouve chez Albarracin comme chez Jaqmin une même capacité à donner vie – oui, vie : présence – aux choses du monde, à les faire apparaître devant nous comme le miracle qu’elles sont. Un même amour, une même chaleur, une même profondeur : celles de la poésie.


LVIII

L’eau est un esclandre tranquille.  
L’eau est un calme attentat.
Elle fait jour dans le monde
De sa fenêtre labile,
De sa vitre perpétuellement puisable,
De son verre infiniment brisé.
Elle fait jour à fleur d’eau.
Sans cesse on ouvre l’eau en la voyant.
L’eau s’ouvre dans l’eau,
Comme une fenêtre pousserait dans la fenêtre
Dès qu’il y a eau.
Comme si à la surface du monde
Se faisait jour
Le vieux fond de surface qu’il y a au fond du fond.
Comme si la fleur et la fenêtre
S’étaient hybridées dans l’eau
Et qu’on pouvait tenir l’une
Pour la matière de l’autre.

Laurent Albarracin, Res Rerum, Arfuyen, 2018

© Masao Yamamoto

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