Le saviez-vous ? Le lion d’argent à la dernière
biennale d’art de Venise, en 2013, a récompensé de la poésie.
Bon, officiellement, c’est une vidéo qui a été récompensée :
celle de la Française Camille Henrot intitulée Grosse fatigue. Elle est visible en ce moment à la galerie Kamel Mennour à Paris.
Mais ce qui fait réellement tout l’intérêt de cette vidéo,
ce qui fait qu’elle fonctionne pour la spectatrice (ou le spectateur) (et contrairement à tant
d’autres vidéos « d’art » d’un ennui abyssal, que personne d’ailleurs ne s’arrête longtemps à regarder), c’est la bande-son : un
long poème sur la création du monde, scandé « en spoken word » (dixit la fiche explicative), et accompagné d’une
musique entêtante. Grâce à ces mots psalmodiés, qu’on entend sans les
comprendre tous mais qui imprègnent peu à peu notre esprit comme une litanie
religieuse, les images prennent sens et réussissent à intriguer, à capter
l’attention. La création du monde (cette grosse fatigue) se déroule alors
devant nos yeux, parce qu’elle se dit dans nos oreilles.
Alors moi, je déclare que c’est la poésie qui a gagné le
lion d’argent à Venise.
In the
beginning there was no earth, no water – nothing. There was a single hill
called Nunne Chaha.
In the
beginning everything was dead.
In the
beginning there was nothing; nothing at all. No light, no life, no movement no
breath.
In the
beginning there was an immense unit of energy.
In the
beginning there was nothing but shadow and only darkness and water and the
great god Bumba.
In the
beginning were quantum fluctuations.
In the
beginning, the universe was a black egg where heaven and earth were mixed
together.
In the
beginning there was an explosion.
In the
beginning, a dark ocean washed on the shores of nothingness and licked the
edges of Night.
Extrait de Grosse fatigue,
Camille Henrot en collaboration avec Jacob Bromberg
Au commencement il
n’y avait ni terre, ni eau – il n’y avait rien. Il y avait une petite colline
nommée Nunne Chaha.
Au commencement tout
était mort.
Au commencement il
n’y avait rien, rien du tout. Pas de lumière, pas de vie, pas de mouvement, pas
de souffle.
Au commencement il y
avait un immense bloc d’énergie.
Au commencement il
n’y avait que de l’ombre, que de l’obscurité et de l’eau, et le grand dieu
Bumba.
Au commencement il y
avait des variations quantiques.
Au commencement,
l’univers était un œuf noir où le ciel et la terre étaient mêlés.
Au commencement il y
eut une explosion.
Au commencement, un
océan noir roulait sur les côtes du néant et léchait les bords de la Nuit.
Traduction Paul
Laborde
Extrait vidéo de Camille Henrot
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Merci, Murièle, de partager ce magnifique texte!
RépondreSupprimerLa nuit/ la lumière... le néant/ le monde. Ce doit être une sensation ineffable de se trouver en présence de ce poème-vidéo.
Marie-Brigitte Ruel
Camille Henrot est jeune, on entendra sûrement encore parler d'elle à l'avenir.
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