Je reviens sur la
réflexion menée précédemment à propos des calligrammes de Guillaume Apollinaire, mais pour parler cette fois du beau recueil
d’Edith Azam et de Jean-Christophe Belleveaux, Bel échec (titre en partie trompeur, attention : ce recueil
n’est en rien un échec !).
Point de poésie spatiale
ici mais un format de police déroutant : les textes sont barrés pour
moitié. Biffés, rayés, quoi.
La lectrice est
déconcertée. Mon premier réflexe, bêtement, est de ne pas lire ce qui barré.
Puis je me ravise : si, bien sûr, il faut tout lire, sinon à quoi bon
avoir laissé les vers barrés ? Je lis donc tout le texte à la suite comme
si rien n’était barré. Oui mais nouveau problème : à quoi bon avoir mis
des vers barrés si c’est pour les lire comme les autres ? J’alterne donc
deux lectures, voire trois : tout le texte, puis uniquement les vers non
barrés, puis uniquement les vers barrés.
Expérience de lecture
intéressante, donc, pleine d’interrogations ; d’autant plus qu’elle
s’accompagne d’interrogations sur qui a écrit quoi des vers barrés et des vers
non barrés, puisqu’il y a deux auteurs et nulle explication sur les modalités
d’écriture à deux choisies ici1.
Pourtant, au bout du
compte, je me demande si un tel dispositif typographique ne porte pas préjudice
à ce qui, pour moi – j’ai la faiblesse de le reconnaître – reste
l’essentiel : le texte. Comme dans les calligrammes d’Apollinaire, le
dispositif rend en effet la lecture laborieuse, et difficile par conséquent l’imprégnation
par les poèmes. Or les poèmes sont remarquables par eux-mêmes : ils n’ont
pas besoin d’être barrés pour se faire remarquer.
Parfois bien sûr le
format barré prend un sens particulier et nécessaire :
« vivre vivre vivre vivre
que cela s’use assez pour en faire étoffe élimée
que cela perfore d’autres usages d’autres façons
que cela soit sans importance
que cela ne soit pas dit lorsque l’on parle de la mort »
Mais le plus souvent on
se demande si l’on a pas affaire à une sorte de coquetterie inutile. Montrer
deux ou trois états différents du texte, pourquoi pas, souligner l’idée de la
collaboration poétique par la binarité barré-pas barré, d’accord. Mais je ne
peux m’empêcher de penser que le livre perd plus qu’il ne gagne à ce genre de
dispositif.
L’artcontemporain a la manie des dispositifs malins ; ceux-ci servent
souvent à cacher une totale vacuité artistique. Quand on a une belle œuvre, ou
un beau texte, qu’apporte le fait de les recouvrir d’un dispositif malin ?
Bel échec dit la vie « en suspens », « le vide qui nous
tient », « chaque détestable minute » sans « l’ombre de
l’ombre d’une frange de sens » ; et aussi la consolation de dire
cela, même si cela est un constat d’échec :
« la guenille du ciel et des mots, ça console
Fendu en deux, comme peut-être
les mots barrés sont en quelque sorte découpés en deux. Pas sûr cependant que le
fait de voir les mots barrés ajoute beaucoup à la force du dire. Le texte lui-même
semble le reconnaître : « biffer ? et puis après ? »…
Même si ce doute exprimé dans le texte est aussitôt suivi d’une métaphore qui,
en jouant avec l’image de la biffure, justifie du même coup la présence de
cette dernière : « encore une couture au cœur ? »
Biffer, donc : soit.
Mais surtout lire, sans prêter trop d'attention aux biffures.
les émotions
(Puis on repart)
les petites radicelles
arrachées
(Déjà si loin Le Paradis)
on prend peur
(on prend garde)
on veut bien s’endormir
mais pas se noyer
d’invisibles oiseaux et
des Poèmes bleus
à mettre un peu de joie
légère
ça ira
(…)
Edith Azam et Jean-Christophe Belleveaux, Bel échec, Dernier télégramme, 2014
1 Heureusement on pourra trouver des réponses à
toutes les questions qu’on se pose (ou presque) sur le site Sitaudis, qui est
dans le secret des dieux. Mais puisque ces explications ne sont pas dans le
recueil, on peut considérer – je considère – qu’elles n’en font pas partie et
que le recueil doit donc en priorité être lu sans celles-ci, et reçu tel quel.
© Elice Meng, l'illustratrice du recueil Bel échec |
Pour ma part je ne lirai pas ça, comme la nature j'ai horreur du vide...
RépondreSupprimerAh mais ça, c'est une erreur, si je peux me permettre ! Enfin tu es libre, hein...
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